Militantes par la musique – Thérèse, Louisadonna, Flèche Love et Sisterhood Project

J’ai assisté au festival Burning Womxn du 27 au 29 mai 2022 dernier à la Maroquinerie, une première édition haute en couleurs et en découvertes musicales. Je vous emmène avec moi à la rencontre de 4 artistes engagées : Thérèse, Louisadonna, Fleche Love et Sisterhood Project ! 

Lise : Pouvez-vous vous présenter ? 

Thérèse : J’ai 36 ans, j’habite à Paris et aujourd’hui, je suis musicienne, styliste, directrice artistique, influenceuse et modèle de temps en temps. Je suis également qualifiée de « militante ».

Louisadonna : Je suis chanteuse, autrice, compositrice, productrice, interprète et par ailleurs psychologue auprès de victimes de violences. Le fil rouge de toutes mes casquettes est le militantisme et le féminisme. J’ai sorti un EP en juin 2021, je prépare le second qui devrait arriver fin 2022. 

Flèche Love : Je suis musicienne, productrice et DA de mon projet ; j’aime explorer des univers différents. J’ai commencé la musique dans des jam sessions de jazz en Suisse pour travailler mon oreille et l’improvisation. Par la suite, j’ai créé mon propre projet en avril 2017 accompagnée d’une équipe bienveillante. Ma musique est un mix de baroque, de jazz, de hip-hop, de musique orientale. Au final une dimension de trans/rituels avec un mélange de sons électroniques. 

Sisterhood project : Je m’appelle Marie, je fais partie du duo Sisterhood Project avec Doo depuis 5 ans. De fil en aiguille, nous avons créé une structure qui se nomme Beautiful Accident , une production de musique à l’image. Nous créons des musiques pour la publicité, le cinéma, la série… Ce label produit Sisterhood Project. C’est un projet militant, féministe. Il est né d’une envie de valoriser le féminisme au travers de notre musique. 

Lise : Burning womxn est un festival féministe. De votre côté, que défendez-vous au quotidien comme causes/combats ? 

T. :  La cause principale que je défends est la liberté. Je me suis rendue compte que tout converge vers cette valeur-là. Et ce combat prend pour chemin l’amour. Je pense que c’est une des sensations, un des éléments et un des sentiments les plus difficiles mais qui peut rassembler tout le monde. Et à travers ce message, se posent également les questions du féminisme, de l’anti-racisme, de la lutte LGBTQI+. Pour moi, toutes les luttes convergent. L’objectif est que chacun trouve sa place dans cet écosystème.

L. : Mes engagements sont très féministes et LGBTQI+. De par mon métier de psychologue auprès de victimes de violences , j’ai une liste de combats assez larges ! Il y a de réels dysfonctionnements au niveau de la prise en charge des victimes de violences en France. J’ai envie de partager ce quotidien dans mes chansons. 

F.L. Mon combat au quotidien est d’essayer d’être la meilleure version de moi-même ! Je ne veux pas me présenter en figure de modèle. Chacun fait ce qu’il peut avec sa vie. Un de mes principaux combats est la santé mentale.

S.P. : Le point de départ de ce projet était l’indignation. On se rendait compte que ce n’était pas logique ce que nous vivions en tant que femme. Nous développons au quotidien notre déconstruction, notre intérêt pour le féminisme. Il y a, par exemple, des textes que nous avons écrits à l’époque et que nous ne jouons plus sur scène car ils ne sont plus en phase avec notre engagement. Notre vision du féminisme aujourd’hui est un féminisme intersectionnel et inclusif. 

« La cause principale que je défends est la liberté. Je me suis rendue compte que tout converge vers cette valeur-là. Et ce combat prend pour chemin l’amour. Je pense que c’est une des sensations, un des éléments et un des sentiments les plus difficiles mais qui peut rassembler tout le monde. »

Thérèse

Lise : Associez-vous la musique à un engagement politique ? 

T. : A mon insu, oui ! Je me suis rendue compte que je ne savais pas écrire autre chose que des textes politiques. Même s’ils sont intimes et que je parle de mon vécu, tous les sujets sont politiques. J’espère que ma musique n’est pas que politique, mais c’est indéniable que cela en fait partie.

L. : Oui complètement ! Je pense que Louisadonna est née de ça ! C’est un projet engagé ! 

F.L. : Pas forcément ! Ce qui est politique est d’exister dans le paysage ! Je ne m’associe pas à la politique, ma musique est en lien avec la spiritualité, l’universalité. 

S.P. : Oui ! J’aurais du mal à ne pas le faire ! Au-delà d’un engagement politique, il y a un engagement écologique à la fois dans notre manière de créer et dans nos textes. La métaphore d’avoir un micro et de parler plus fort que les autres doit servir à faire passer des messages.  

Lise : Quelles sont les figures féministes qui vous ont accompagné ? 

T. : J’en parle très souvent dans mes interviews. M.I.Aest une artiste que j’admire pour beaucoup de raisons. Évidemment j’aime sa musique mais aussi son look, sa façon s’appréhender la musique, son style, son engagement et sa complexité. Je peux également citer Niki de Saint PhalleLouise Bourgeois, la plume de Despentes, ma mère… Le féminisme qui n’est pas revendiqué est parfois plus fort. Ma mère n’a jamais rien revendiqué mais je l’ai vue nous élever. Elle a perdu sa mère jeune et a élevé ses frères et sœurs, a émigré, a fait venir sa famille, trouvé un travail, construit un foyer et nous a tout donné. Malgré elle, elle m’a donné une vision de la vie et de la femme qui est hyper forte. Plus que ce que j’ai pu parfois lire dans des bouquins.

L. : Il y en a tellement ! (Rire) Je dirais Virginie Despentes sur la question de l’identité de victime. Je trouve qu’elle apporte un truc incroyable de permettre aux femmes de ne pas être victime comme la société le voudrait mais d’être des femmes fortes. J’avais lancé une pétition pour la panthéonisation de Gisèle Halimi. J’ai très mal vécu le fait qu’elle meure dans un silence national alors que c’est grâce à elle que le viol est condamné comme un crime. Aujourd’hui, il y a seulement 1% des viols qui sont condamnés. Cliniquement, je le constate tous les jours ! 

Sur la question de l’Afro-féminisme, je dirais Angela Davis qui m’a appris tellement de trucs sur l’intersectionnalité et les rapports entre racisme, classisme et sexisme. 

F.L. : Beaucoup de femmes m’inspirent au quotidien. Je dirais Clarissa Pinkola Estès qui a écrit le fabuleux livre : Femmes qui courent avec les loups. Son livre m’a beaucoup touchée. J’avais aussi rencontré une agricultrice au Nicaragua. Grâce à sa relation avec son mari, je me suis posée des questions sur la définition du couple. Nous avons beaucoup de représentations du couple qui sont assez toxiques notamment dans la pop culture. Björk m’a beaucoup aidée avec tout le travail sur la musique qu’elle a entrepris. Je viens de finir un livre sur Aliénor d’Aquitaine. Je me dis qu’avoir vécu jusqu’à 82 ans au Moyen-Âge en tant que femme de pouvoir et avoir vécu autant de trahisons a dû être difficile et violent.

Cependant même si je suis inspirée par de nombreuses femmes célèbres, ce qui est complexe avec les figures publiques, est que l’on ne connaît pas l’exemplarité de leur vie intime. C’est pour ça que je me méfie aussi et que parfois les gens qui nous entourent et qu’on connaît profondément sont parfois les meilleurs exemples.

S.P. : Simone De Beauvoir et Simone Weil, c’est en quelque sorte l’entrée en matière pour une occidentale. Il y a des carrières qui sont féministes et qui ne sont pas revendiquées comme féministes. Je pense à Nina Simone et Bessie Smith. Patti Smith, Amy Winehouse nous inspirent/ont inspirées chacune à leur manière. 

« On m’a clairement dit que mes musiques ne pouvaient pas passer en radio car elles étaient trop explicites ! »

Louisadonna

Lise : Quels freins ressentez-vous dans le monde de la musique en tant que femme ?

T. : Aujourd’hui, je dirais que le frein majeur que je ressens, c’est le fait d’avoir des difficultés à coopérer quelle que soit la personne que l’on est. Nous sommes dans une période où tout est rangé dans des petites cases, des micro-cases qui nous séparent toujours plus. Ne créons pas de barrières supplémentaires, la vie est suffisamment dure ! Il me semble important de cueillir l’aide et la solidarité où elle se trouve. Si demain, un homme de 50 ans veut m’apporter son aide, j’ai envie de pouvoir lui dire oui autant qu’à une femme LGBTQIA+ racisée.

Il y a un rapport forcément systémique mais j’ai vraiment l’impression que l’émancipation, elle nait du travail de soi avec soi-même. Prendre conscience que l’émancipation est un aller-retour entre le soi et le collectif est hyper important. 

L. : J’ai beaucoup de freins auprès des médias ! Les médias ont clairement dit aux attachés de presse avec qui je travaille qu’ils étaient frileux de me recevoir car cela voulait dire qu’ils prenaient parti ! Je trouve ça fou qu’ils ne veuillent pas défendre l’égalité ! On m’a clairement dit que mes musiques ne pouvaient pas passer en radio car elles étaient trop explicites ! En attendant, en radio, tu peux écouter Vianney et Joyce Jonathan qui disent « Les filles d’aujourd’hui, elles sont trop compliquées, elles disent non ! ». Il ne faut pas cantonner ce genre de paroles qu’au rap, cela traverse tous les styles de musique et depuis longtemps ! 

F.L. : Je suis souvent sous-estimée en tant que directrice artistique et productrice. Les gens pensent que ce n’est pas moi qui m’en occupe. Plus je vieillis et plus je choisis mon entourage musical et mon label. Aujourd’hui, je rencontre de moins en moins ces problématiques et cela me permet de me consacrer exclusivement à la création. J’ai une équipe où il y a une belle parité, je suis entourée par beaucoup de femmes bienveillantes mais aussi par des hommes bienveillants et déconstruits ou en tout cas en chemin.

S.P. : Plus beaucoup ! Car nous avons décidé de le faire entre nous. Nous sommes entourées d’une équipe qui respectent nos valeurs. 

Lise : Trouvez-vous qu’il y a une sororité dans la musique ? 

T. : Je me suis rapprochée d’énormément de femmes artistes et ça m’a fait beaucoup de bien. Et parfois du mal. Nous sommes dans une industrie extrêmement capitaliste qui n’aide en rien à la sororité/la solidarité. Le point positif est que le concept de sororité circule, qu’on le conscientise et qu’on apprend doucement à l’être. Comme pour tout type de relation, il faut accepter que ça prenne du temps, que parfois ça matche, parfois pas. En tout cas, j’ai à cœur de questionner ces concepts à la mode qui parfois se transforment en injonction sous couvert d’incarner « le bien ».

F.L. : Oui, j’ai participé à des cercles de femmes et je trouve important de créer cette fraternité entre femmes que l’on retrouve beaucoup chez les hommes. Par contre, je me suis aussi faites avoir par des femmes. Il ne faut pas tomber dans le raisonnement que parce que c’est une femme, je dois lui ouvrir mon cœur, il y a aussi des mauvaises femmes. C’est important de le dire aux jeunes filles qui découvrent ce concept de sororité. 

S.P. : Ouais carrément ! Il y a forcément des divergences au sein du militantisme mais ce n’est pas grave. Il faut juste ne pas perdre de vue notre objectif. C’est un peu le piège auquel le militantisme se confronte. Je n’ai pas forcément envie de rentrer en conflit pour ce genre de divergences car nous ne sommes pas là pour ça. 

« Il y a des carrières qui sont féministes et qui ne sont pas revendiquées comme féministes. Je pense à Nina Simone et Bessie Smith. Patti Smith, Amy Winehouse nous inspirent/ont inspirées chacune à leur manière. »

Sisterhood Project

Lise : Quels sont vos projets pour la suite ? 

T. : J’ai des clips à tourner pour la sortie de l’EP, un album à finir. J’aime autant faire la musique que produire les images. J’adore le monde de l’image, je viens de cet univers-là ! Je continue à faire de la DA et du stylisme pour d’autres artistes. De plus, mon single et clip « Jealous » sortira le 31 août (Presave ici ).

L. : Je finis le deuxième EP, ce sera un 7 titres. J’ai sorti récemment le clip du titre « Elle est taureau », le dernier clip du premier EP. J’enchaînerai avec la sortie des titres du second EP. Je suis impatiente qu’ils sortent ! Le prochain parlera du sexisme dans la musique et notamment des boys clubs. Lorsque tu vas dans des lieux de pouvoir dans la musique, tu te retrouves souvent confronter à des hommes. J’aborderai également le mansplanding, le parcours après #metoo, des titres plus personnels sur les plans culs lesbiens (rire). Je suis en autoproduction avec un distributeur qui m’accompagne. 

F.L. : Je vais finir ma tournée cet automne et ensuite créer un nouveau spectacle qui sortira probablement en automne 2023. Je finis l’écriture d’un livre, un autre projet qui me tient à cœur. C’est un essai spirituel et scientifique qui parle de mon histoire. Sa sortie est prévue en automne 2023. 

S.P. : Nous aimerions programmer une tournée en y intégrant de la lumière et des chorégraphies. Notre prochaine date sera pour un festival militant écologique à Foix, avec les Faucheurs d’OGM. Puis nous aurons une date à Nancy, et d’autres surprises arriveront également à l’automne !

« J’ai une équipe où il y a une belle parité, je suis entourée par beaucoup de femmes bienveillantes mais aussi par des hommes bienveillants et déconstruits ou en tout cas en chemin. »

Flèche Love
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