La 12ème édition du Champs-Elysées Film Festival avait lieu du 20 au 27 juin 2023. A cette occasion, j’ai eu l’honneur d’interviewer deux réalisatrices de talent : Lina Soualem et Ellie Foumbi.
Lise : Pouvez-vous vous présenter ?
Lina Soualem : Je suis majoritairement réalisatrice. J’ai aussi joué dans quelques films en tant que comédienne il y a quelques temps mais ce n’est pas mon occupation principale. J’ai réalisé un film documentaire Leur Algérie sorti en 2021. Dans ce film, j’ai voulu raconter l’histoire de mes grands-parents paternels algériens qui divorcent après 60 ans de mariage. Je retrace leur histoire d’exil et leur histoire intime qui se mêlent à des histoires politiques avec le contexte de la colonisation française en Algérie. Je viens de sortir mon deuxième documentaire : Bye bye Tiberiade. C’est dans la continuité du premier film puisque je vais parler de ma famille maternelle et plus précisément de 4 générations de femmes palestiniennes. Cela traite de la façon dont elles préservent leur histoire et leur mémoire intime et collective par la force de la relation et des liens qu’elles ont entre elles.
Ellie Foumbi : Je suis réalisatrice, scénariste et productrice.
Lise : Comment vous êtes-vous imposées dans le monde du cinéma en tant que femmes ?
L.S. : J’ai eu des facilités car mes deux parents sont comédiens. Depuis petite, je côtoie ce monde-là. La chance que j’ai est que ma mère travaille beaucoup à l’étranger donc je ne connaissais pas seulement le cinéma français mais aussi le cinéma dans le Monde Arabe. Cela m’a ainsi ouvert d’autres perspectives pour pouvoir présenter mes projets. Pour mon premier film, j’ai eu d’abord des subventions venant du Monde Arabe. Dans ces pays, la problématiques la plus courante des réalisatrices est d’arriver à vivre de leur métier. En général, elles réalisent leurs premiers films, n’arrivent pas à aller plus loin et prennent donc un autre métier à côté. D’ailleurs, nous partageons régulièrement nos expérience avec des cinéastes féminines d’origine du Moyen Orient ou d’Afrique du nord qui vivent en Europe ou dans la région.
Suite à ces échanges, nous avons créé un collectif qui s’appelle Sisters in film (Rawiyat) notamment pour s’entraider et se partager des bons plans : comment financer ses fims ? Comment trouver des soutiens ? Comment parler des difficultés et des challenges ? Il y a forcément des sujets qui peuvent être tabous, tu peux rencontrer des obstacles en tant que femme dans le Monde Arabe. Il y a aussi un partage de nos réseaux respectifs. J’essaye d’être continuellement dans un esprit de partage et de solidarité. Cela permet de donner plus de force aux femmes qui débutent, qu’elles puissent faire confiance plus rapidement à leur instinct.
E. F. : C’est toujours plus difficile car nous sommes en minorité dans le Cinéma. Dès l’école, j’ai senti tout de suite une communauté d’hommes s’entraider excluant les femmes. J’ai senti que je devais me battre pour faire ma place. Je pense que c’est épuisant et que cela prend beaucoup d’énergie.
J’ai l’impression qu’aux Etats-Unis, les mentalités évoluent. L’industrie se rend compte qu’il faut créer des places pour les femmes, qu’elles ont des choses importantes à apporter au Cinéma.
Lise : As-tu rencontré des freins/difficultés lors de tes premières expériences ?
L.S. : Mon premier film est également sorti en France. C’est une chance énorme de pouvoir sortir son premier film en salle surtout un documentaire ! Il y a tout de même des difficultés pour accompagner le film de A à Z. Financièrement, ce n’est pas toujours évident. Il faut arriver à trouver du temps pour travailler sur d’autres projets en parallèle.
Les freins, c’est souvent ce que l’on va te dire ! Il faut arriver à garder le cap malgré les retours. On m’a parfois dit que l’histoire que je racontais n’était pas assez universelle, qu’il ne trouvera pas sa place au cinéma. Si tu n’as pas une force intérieure, tu peux facilement laisser tomber.
« Suite à ces échanges, nous avons créé un collectif qui s’appelle Sisters in film (Rawiyat) notamment pour s’entraider et se partager des bons plans : comment financer ses fims ? Comment trouver des soutiens ? Comment parler des difficultés et des challenges ? »
Lina Soualem
Lise : Avez-vous une expérience marquante à me raconter ?
L.S. : Oui j’ai déjà eu des commentaires racistes par exemple par rapport à mon travail ! Je me souviens une fois, je présentais mon projet dans un festival et un producteur est venu à ma rencontre pour me confier qu’il était intéressé par mon film. Il m’a quand même dit qu’il ne fallait pas trop que je focalise sur l’Algérie pour ne pas «ghettoïser » le projet ! J’ai trouvé ça fou car je n’avais rien demandé et heureusement que je sais prendre du recul sur les critiques. En définitif, il faut tout le temps être en déconstruction et en même temps, c’est enrichissant.
E. F. : Il y a toujours des petites remarques. L’exemple qui me vient est la manière dont je gère mon plateau. J’ai toujours des petites critiques à gauche, à droite qui viennent toujours d’hommes. J’ai l’impression qu’on ne me fait pas confiance et c’est assez blessant car j’ai déjà tourné plusieurs films. Je me demande si c’est parce que je suis une femme, si c’est parce que je suis une femme noire. Mais j’ai vraiment une équipe qui me soutient, ils me défendent et me font confiance.
Lise : A côté de tes propres films/documentaires, as-tu travaillé sur d’autres projets ?
L.S. : Oui ! J’ai travaillé sur la série Oussekine sortie sur Disney+ pendant 9 mois dans l’équipe de l’écriture avant que mon film sorte en salle. C’était une expérience géniale d’accompagner l’écriture d’une série sur des thématiques qui m’intéressaient. La série est basée sur l’histoire vraie de Malik Oussekine.
Lise : De quel projet êtes-vous les plus fières aujourd’hui ?
L.S. : Je suis très fière d’avoir pu participer à l’écriture de la série Oussekine. C’est un projet magnifique avec des comédiens, des auteurs et autrices extraordinaires ! La série parle d’un sujet de société qui n’avait pas été évoqué depuis 30 ans.
E. F. : Je dirais mon premier long métrage Mon père, le diable. Je l’ai tourné avec un petit budget, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. J’étais vraiment surprise par l’accueil et le succès du film.
« J’ai toujours des petites critiques à gauche, à droite qui viennent toujours d’hommes. J’ai l’impression qu’on ne me fait pas confiance et c’est assez blessant car j’ai déjà tourné plusieurs films. Je me demande si c’est parce que je suis une femme, si c’est parce que je suis une femme noire. »
Ellie Foumbi
Lise : Quels messages as-tu envie de transmettre à travers tes projets/films ?
E. F. : J’étais pas vraiment consciente de ça au départ mais j’essaye de montrer les nuances de la vie, elle n’est ni blanche, ni noire. J’aborde aussi la foi dans mes films sans en être consciente. Il y a aussi la recherche de l’identité, à quelle communauté nous appartenons. Je me suis posée ce genre de questions car je suis née au Cameroun, j’ai grandi aux Etats-Unis et je suis allée dans une école française. Je ne savais jamais exactement où me positionner. Cette problématique revient souvent dans mon travail.
Lise : Quels sont les femmes qui vous inspirent au quotidien ?
L.S. : J’aime beaucoup le travail d’Alice Diop. Après, je dirais toutes les filles avec qui je suis dans le collectif. Ce sont de jeunes réalisatrices et je suis admirative de leur courage car ce sont souvent des sujets lourds qu’elles défendent.
E. F. : Sans hésiter : Jane Campion ! J’adore son travail, je trouve qu’il est subtil. C’est une femme qui casse les codes !
Lise : Quel est le film qui vous a marqué cette année ?
L.S. : C’est un film dont j’ai suivi la création donc c’est peut être très subjectif. C’est un film sorti en avril dernier qui s’appelle La Dernière Reine sur l’histoire d’une Reine algérienne au 15ème siècle. On n’a jamais su si elle avait vraiment existé. Je trouve que c’est un film fort et courageux car il a été fait avec un budget modeste pour un film historique. Il met l’accent sur les femmes à une époque où elles ne sont pas restées dans l’histoire. C’est un film que j’adore et que j’ai vu 3 fois !
E. F. : Je dirais Le Bleu du caftan qui est sorti l’an dernier, je l’ai toujours en tête !
« J’aime beaucoup le travail d’Alice Diop. Après je dirais toutes les filles avec qui je suis dans le collectif. Ce sont de jeunes réalisatrices et je suis admirative de leur courage car ce sont souvent des sujets lourds qu’elles défendent. »
Lina Soualem
Lise : Quels sont vos projets pour la suite ?
L.S. : Je suis concentrée sur la sortie de mon deuxième documentaire. J’aimerais bien écrire de la fiction, c’est en cours de réflexion ! J’ai aussi beaucoup d’archives vidéos familiales. Je voudrais travailler ces images de manière plus libre peut être sur des projets plus artistiques d’installations vidéos.
E. F. : En ce moment, je travaille sur une adaptation pour un écrivain, un thriller et j’ai un troisième projet en développement entre Taïwan et New-York. Les projets bourgeonnent ! (rire)
« Dès l’école, j’ai senti tout de suite une communauté d’hommes s’entraider excluant les femmes. J’ai senti que je devais me battre pour faire ma place. Je pense que c’est épuisant et que cela prend beaucoup d’énergie.»
Ellie Foumbi